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  • Writer's pictureMarion Gilbert

Le mariage homosexuel, où en sont les associations sud-coréennes ?

Le présent article est issu d’un travail de thèse fondé sur un terrain de recherche situé en Corée du Sud de juin 2018 à décembre 2019. Par conséquent, sauf mention contraire, l’ensemble des données présentées appartiennent à l’auteure. Toute personne diffusant et/ou utilisant les données sans son accord préalable s’expose à des poursuites judiciaires. Cet article sera très prochainement publié, avec d’autres, dans un numéro papier de la revue tan’gun (éditions Harmattan) sur le genre et le queer.

Brochure d’une conférence de presse sur les nouvelles compositions familiales organisée à la mairie de Séoul le 29 octobre 2019. Traduction du titre « De nouvelles attaches reconfigurent la société en dépassant le mariage et les liens de sang en tant qu’éléments constitutifs de la famille : Débats sur les mesures à prendre pour soutenir les familles sociales » © Marion Gilbert

Depuis l’arrivée à la présidence de Moon Jae-In, ancien avocat spécialiste des droits de l’Homme, pourtant positionné en tant que progressiste en Corée du Sud, une question récurrente apparaît sur l’échiquier politique : « est-on pour ou contre l’homosexualité ? ». Il s’agit d’une question posée par le candidat Hong Jun-Pyo lors des débat télévisuels des présidentielles 2017. Si se dire pour ou contre l’homosexualité a l’air totalement absurde, cela influence en réalité un important électorat évangéliste. Parler en ces termes de l’homosexualité à la télévision a également des répercussions sociales.


Bien que des revendications pour le mariage homosexuel aient pu avoir été entendues au début des années 2010, les associations LGBT ont changé de ligne d’attaque à la suite des présidentielles de 2017. Depuis que Moon Jae-In s’est officiellement positionné « contre » d’un point de vue personnel mais « pour » d’un point de vue démocratique, l’appareil militaire a durci sa ligne politique contre l’homosexualité au sein de l’armée.


Les hommes sud-coréens doivent accomplir un service militaire, d’une durée de 19 mois. Selon le tiret 6 de l’article 92 de la loi martiale, des militaires qui pratiquent le sexe anal ou qui harcèlent sexuellement un autre militaire peuvent encourir jusqu’à deux ans de prison ferme [1]. Cet article est socialement perçu comme discriminant les homosexuels. En outre, il stigmatise un groupe à travers une pratique. L’homosexuel y est implicitement défini à travers une pratique sexuelle. L’association Military Humans Rights Center for Korea révèle une intensive chasse aux gays commençant au printemps 2017. La loi martiale y aurait été largement mise en pratique à la suite de la mise en ligne d’une vidéo filmée entre deux militaires ayant des rapports sexuels [2]. Une cinquantaine d’enquêtes sont ouvertes afin de déterminer l’homosexualité des jeunes hommes mis en cause. Ils finissent par l’avouer après des interrogatoires qui auraient duré jusqu’à une semaine. En effet, tel « Monsieur A », certains sont sanctionnés de deux ans de prison ferme à la suite de l’investigation, en raison du tiret 6 de l’article 92 de la loi martiale. Military Humans Rights Center for Korea ainsi que Solidarity for LGBT Human Rights of Korea ont reçu de nombreux appels de la part d’hommes gais n’ayant pas encore effectué leur service militaire afin de se renseigner quant à la possibilité de demander l’asile politique à l’étranger [3]. La réponse est claire : il s’agit d’un processus long parce qu’il est difficile d’apporter des preuves de potentielles persécutions. En réalité, très peu en font la demande, seuls trois cas ont été recensés depuis 2010.


On comprend bien que du côté des associations LGBT traditionnelles, le mariage n’est pas le dossier le plus urgent. De plus, l’ouverture du droit au mariage pour les personnes de même sexe à Taïwan en 2019 semble avoir démobilisé les gays et lesbiennes sud-coréen·ne·s qui sont désormais privé·e·s de pouvoir jouir un jour de la fierté de dire que la Corée du Sud est le premier pays d’Asie à avoir accorder ce droit aux personnes homosexuelles. C’est stratégiquement important sur la scène diplomatique asiatique et internationale. D’autre part, ouvrir ce droit est un geste qui a des effets matériels mais également symboliques. L’Etat signifie qu’il reconnaît et protège une identité stigmatisée.


Depuis la fin des années 2010, les associations sont mobilisées sur d’autres sujets plus urgents à traiter que la reconnaissance du mariage homosexuel. Avant de demander le mariage, il faudrait déjà une loi contre la discrimination, créant ainsi une hiérarchie dans les revendications. Shin Layoung estime que « malgré l’accroissement des associations LGBT, leur adhésion ainsi que leur participation dans des activités politiques, leur rôle de protection des droits des personnes LGBT n’ont pas été accomplis dans les domaines juridique et institutionnel » [4]. Lorsque l’on porte un œil attentif sur les organisations les plus anciennes ou les plus reconnues, le rôle qu’elles ont constitué jusqu’à présent relève davantage de l’aide matérielle et psychologique [5] ou médicale [6], de la possibilité de rencontrer d’autres personnes LGBT, créant des groupes d’entraide et d’amis, permettant de s’instruire lors de séminaires consacrés à des thématiques LGBT. Les modes d’action ne sont pas les mêmes que ceux des associations LGBT occidentales qui mettent davantage l’accent sur la visibilité. Cela ne veut pas dire que les associations sud-coréennes ne sont pas politisées, les revendications politiques prennent seulement d’autres formes.


L’action politique comme nous l’entendons traditionnellement en Europe ou aux Etats-Unis est menée par de plus récentes associations Military Humans Rights Center for Korea (créée à la fin des années 2000) ainsi que par des réseaux et groupes (moim) eux aussi nouvellement créés. Ces derniers sont composés d’organisations membres : des partis politiques, mais aussi des associations LGBT préexistantes. Ainsi, le réseau Gagoonet, qui milite pour le partenariat et le mariage entre personnes de même sexe, est constitué entre autres par deux associations d’avocats (GongGam et Hope and Law), du Parti Vert (Noksaekdang) ainsi que du Parti de la Justice (Chŏngŭidang [7]). Le Forum Sexualité et Reproduction, quant à lui, est un groupe de travail où chercheurs, activistes, médecins et avocats se concertent afin de trouver des solutions pour lutter contre des problèmes sociaux liés à la famille, à la procréation et à la sexualité. En juillet 2019, il se transforme en association afin de « préparer attentivement ce qui suivra la révision de la loi sur l’abolition du délit d’avortement » [8].

Les groupes et réseaux profitent d’interventions afin d’expliquer l’importance de la reconnaissance d’un partenariat domestique. Une conférence de presse est organisée à la mairie de Séoul à l’automne 2019 afin de revendiquer la création d’une union civile. Les interventions opposent les « familles centrées sur le mariage et la lignée par sang » (honin hyŏryŏn jungsim kajok) composées de parents et de leurs enfants et la « famille sociale » (sahoejŏk kajok). L’enquête quantitative menée en 2017 par le Korea Institute for Health and Social Affairs, a eu pour résultat de montrer qu’en pratique, à Séoul, la famille nucléaire hétérosexuelle est mise à mal par de nouveaux modèles familiaux : l’augmentation des foyers constitués d’un couple co-habitant non mariés, d’une personne, des personnes co-habitantes. Ces trois formes sont celles qui nécessitent une reconnaissance juridique, essentielle pour protéger les citoyens.


Les femmes queer participant à nos recherches menées dans le cadre d’un doctorat sont catégoriques : bien que les plus jeunes ne souhaitent pas se marier parce que le mariage est une affaire de patriarcat, les plus âgées disent tout de même avoir besoin d’un partenariat domestique, reconnu par l’Etat, ou de l’ouverture du mariage pour les personnes de même sexe, afin de jouir des mêmes droits que les couples mariés. En effet, les pertes sont conséquentes lorsque l’on n’est pas marié en Corée du Sud : il est impossible d’adopter, d’hériter de sa·son concubin·e, de profiter de bas taux d’intérêts réservés aux jeunes mariés, de dégrèvements d’impôts [9], de se porter tuteur lorsque la·le partenaire est hospitalisé·e. Si un problème survient et que le personnel médical nécessite une autorisation afin de procéder à une opération, il faudra alors retrouver la famille d’origine, avec qui le lien a parfois été rompu, avec qui les contacts peuvent être conflictuels, et le « parent du quotidien » ne pourra pas se porter garant [10]. Pire, il peut être écarté de l’ensemble des processus d’aide lorsque la·le partenaire n’est plus en état de s’occuper de lui·elle-même. Il s’agit de problèmes propres à la non-reconnaissance des unions, comme c’était le cas aux Etats-Unis [11] avant que certains états ne reconnaissent juridiquement le mariage homosexuel.


Les personnes concernées par ces compositions familiales urbaines sont les couples hétérosexuels ou queer, mais aussi des ami·e·s qui vivent à deux, comme des compagnon·ne·s. L’institut dénombre aussi des familles sociales qui forment une communauté. Il s’agit de colocations par exemple. Enfin, le dernier type de famille sont les familles sociales relationnelles dont les membres ne vivent pas dans le même logement, mais qui partagent leur vie grâce à une proximité géographique et qui font preuve d’un soutien mutuel dans la vie quotidienne. En pratique, les familles autres que celles d’origine sont présentes dans l’espace urbain, elles ne sont pas définies uniquement par une habitation commune mais aussi par des attaches entre personnes résidant dans une même zone, et qui font partie du quotidien l’une de l’autre. Il s’agirait de familles formées dans la pratique du quotidien. Leurs liens résident dans l’échange de tous les jours, elles finissent par tisser des relations de solidarités.

Les revendications pour l’ouverture du droit au mariage homosexuel se situent davantage dans ce débat des nouvelles formes du faire famille. Le partenariat reconnu juridiquement n’est pas premièrement pensé pour les homosexuel·le·s, mais pour toutes les personnes qui ne peuvent plus compter sur les solidarités familiales traditionnelles. Cela invisibilise le combat homosexuel mais c’est une stratégie politique qui pourrait avoir ses chances face à un électorat évangélique homophobe, dans un contexte social où l’homosexualité est un sujet qui nécessite de choisir son camp : êtes-vous pour ou contre ?


Marion Gilbert

 

1. « Le sexe anal ainsi que le harcèlement entre les personnes définies par le tiret 1 à 3 de l’article 1, est puni d’une peine allant jusqu’à deux ans d’incarcération. » [traduction personnelle] « 제1조제1항부터 제3항까지에 규정된 사람에 대하여 항문성교나 그 밖의 추행을 한 사람은 2년 이하의 징역에 처한다. » Site officiel du Centre National d’Information Juridique.

2. JACKSON Ben, “Military Prosecutors Seek Jail Sentence for Gay Soldier”, Korea Exposé, 17 mai 2017, page consultée le 11 avril 2020

3. Chuwŏn, « imdae-rŭl apdugo itnŭn han’guk-ŭi sŏngsosuja-ka oeguk-esŏ nanmin-ŭro pohobadŭl kanŭngsŏng », [trad.], (La probabilité de recevoir une protection en tant que réfugié dans un pays étranger lorsque l’on fait partie d’une minorité sexuelle et que l’on s’approche du service militaire), Nŏ na uri-rang, 24 mai 2017, page consultée le 10 avril 2020.

4. « Although there has been growth in LGBT organizations, their membership, and participation in political activities, legal and institutional achievement protecting LGBT rights has not been accomplished. » SHIN Layoung, “Avoiding T’ibu (Obvious Butchness): Invisibility as a Survival Strategy among Young Queer Women in South Korea”, in HENRY Todd, Queer Korea, Duke University Press, 2020, p. 8857, (format Kindle).

5. Centre d’écoute sud-coréen pour les lesbiennes ; Entre amis ; Ddingdong, association spécialisée dans l’aide aux adolescent-e-s LGBT

6. Ishap pour la prévention du SIDA

7. Le Parti Vert et le Parti de la Justice sont des partis progressistes. Le premier n’a pas présenté de candidat aux élections présidentielles de 2017, le deuxième a remporté 6,17% des voix, se positionnant cinquième.

8. « 이제 낙태죄폐지법을 고치면서 본격적으로 그 이후를 준비하기 위해서 단체로 만들었습니다. » Nayŏng, Pihon-gwa pich’ulsan, chŏngsang kajok aniŏdo chal sarabogi, [trad.], (Sans mariage ni procréation : Vivre bien sans être une famille normale), Sŏul chungbu yŏsŏng paljŏn sent’ŏ, Séoul, le 5 octobre 2019.

9. La TVA est remboursée en fin d’année, par palier, selon la consommation du ménage. Selon un témoignage recueilli par l’Institut Family Equality Rights, les couples mariés élevant des enfants pourraient obtenir un dégrèvement presque dix fois plus avantageux que la somme qu’elle se voit remboursée en tant que célibataire. KIM Sunnam, Ryu Minhŭi, « Honin hyŏryŏn kajok-ŭl nŏmŏ sahoe-rŭl tasi mandŭnŭn seroun yudae », [trad.], (De nouvelles attaches reconfigurent la société en dépassant le mariage et les liens de sang en tant qu’éléments constitutifs de la famille), Mairie de Séoul, Séoul, le 29 octobre 2019.

10. Nayŏng, ibid.

11. WESTON Kath, Families We Choose, Lesbians, Gays, Kinship, Columbia University Press, 1991, 261 p.


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