top of page
  • Writer's pictureMarion Gilbert

LE MARIAGE ENTRE PERSONNES DE MÊME SEXE : UN IMPENSÉ DU DROIT SUD-CORÉEN ?

Le présent article a pour objectif de soulever les raisons juridiques pour lesquelles le mariage homosexuel n’est pas reconnu en Corée du Sud. Il est issu d’un travail de thèse fondé sur un terrain de recherche situé en Corée du Sud de juin 2018 à décembre 2019. Par conséquent, sauf mention contraire, l’ensemble des données présentées appartiennent à l’auteure. Toute personne diffusant et/ou utilisant les données sans son accord préalable s’expose à des poursuites judiciaires. Cet article sera très prochainement publié, avec d’autres, dans un numéro papier de la revue tan’gun (éditions Harmattan) sur le genre et le queer.


A partir des années 2000, la société sud-coréenne a vu l’émergence de revendications de la part des minorités sexuelles (sŏngsosuja) à la suite de plusieurs évènements significatifs qui se sont accompagnés d’une visibilité croissante de l’homosexualité dans les médias télévisuels. La culture populaire a été le principal vecteur ayant contribué à créer un espace de visibilité médiatisé. C’est ainsi que le coming-out officiel de Hong Sǒkch’ǒn [1], en 2000, a eu pour rôle de « stimuler un intérêt social à propos de l’homosexualité » [2]. Il a également contribué au développement de l’intérêt porté aux questions homosexuelles et à leur problématisation politique.


Contre-manifestants évangéliques tenant des banderoles contre le mariage homosexuel, festival de culture queer de Busan, 13 octobre 2018 © Marion Gilbert

La série La vie est belle (Insaeng’ŭn arŭmdawŏ), diffusée en 2010 a été un vecteur de visibilité pour l’homosexualité masculine. Elle innove en mettant en scène un couple gai comme personnages principaux et suggère que l’unique moyen de rapprochement possible entre les protagonistes et leurs familles est l’acceptation de l’homosexualité [3]. Ce mélodrame est diffusé sur une des trois grandes chaînes privées généralistes, SBS, et a eu un impact notoire. La partie conservatrice du monde évangélique a créé un mouvement de rejet de l’audiovisuel [4] et le nombre d’articles concernant l’homosexualité publiés dans le journal Chosǒn Ilbo a doublé la même année [5].


Le 28 juillet 2004, une plaignante demande l’ouverture d’un procès pour réclamer des dommages et intérêts de la part de sa concubine, avec qui elle vivait depuis vingt ans [6]. Le président du procès, qui a eu lieu au tribunal régional d’Incheon, a rejeté sa demande en déclarant qu’il « n’était pas possible de reconnaître une cohabitation entre personnes de même sexe comme une relation de concubinage puisqu’en Corée du Sud, le mariage représente une union charnelle et spirituelle entre un homme et une femme » [7]. En pratique, les unions entre femmes ne sont pas nouvelles en Corée du Sud, puisque les hebdomadaires publiés à partir des années 1960 relatent les histoires de couples de femmes, bien qu’il soit question de les stigmatiser en tant que femmes déviantes (t’alsŏn) qui refusent de produire ou d’élever des enfants [8]. Néanmoins, les limites sexuelles du mariage ont été questionnées par le droit une première fois lors de ce procès. Le droit ne précise pas que le mariage civil est limité à deux personnes de sexes opposés comme en témoigne le tiret 1 de l’article 36 de la constitution, introduit dans la partie droits et devoirs du citoyen. Nous le traduirons ainsi : « L’Etat garantit le mariage et la vie familiale qui sont fondés sur la dignité individuelle et l’égalité des deux sexes » [9]. Cet article est fréquemment repris par la société civile dans le but de dire que la loi sud-coréenne ne permet pas de rejeter les mariages homosexuels. Ambigüe sur ce point, la constitution ne précise pas que les deux époux doivent être de sexes opposés. Les défenseurs du mariage homosexuel jouent sur le terme « deux sexes » (yangsŏng) pour revendiquer que le mariage entre personnes de même sexe est juridiquement reconnaissable.


En 2013, le réalisateur engagé, Kim Jho Gwangsoo dont la majorité des films portent des thématiques gaies, se marie. Il organise le 9 septembre de la même année son propre mariage, avec son compagnon Kim Sŭnghwan, dans un espace public à ciel ouvert près du cours d’eau Ch’ŏnggyech’ŏn, lieu privilégié des jeunes séoulites pour les rencontres amoureuses (hétérosexuelles). Il montre ainsi que les romances gaies suivent un schéma de romance générale, qu’elles soient hétérosexuelles ou non, l’important est de souligner la normalité de la déviance [10]. La cérémonie a lieu devant 2000 invités, mais des débordements gâchent la cérémonie, certains détracteurs allant jusqu’à jeter des excréments sur la scène. A la fin de la célébration, le réalisateur et son partenaire vont à la mairie de l’arrondissement de Sŏdaemun afin de déposer leur déclaration de mariage. L’argument de Kim Jho Gwangsoo était que le tiret 1 de l’article 36 de la constitution ne dit pas que le mariage entre personnes de même sexe est différent du mariage entre personnes de sexes opposés. Leur union n’aboutira pas à une reconnaissance légale.


Le mariage homosexuel a commencé à faire l’objet de débats dans les années 2000 et 2010 en Corée du Sud à travers des exemples concrets d’hommes et de femmes homosexuel·le·s précédemment cité·e·s. De nos jours, la reconnaissance de leurs mariages est devenue un objet politique, construit en tant qu’enjeu, qu’iels ont eux·elles-mêmes amené sur la scène médiatique.


En 2017, l’Institut de Recherches Constitutionnelles, rattaché à la Cour Constitutionnelle de Corée du Sud publie un livre de 126 pages [11] afin de résumer le débat. Les législateurs, eux-mêmes perdus par les demandes émanant de la société civile, ne savent pas comment régler les affaires qui concernent les concubinages et revendications de partenariats entre personnes de même sexe. L’ouvrage est écrit afin de répondre à des problématiques concrètes de travail, en étudiant divers cas menés devant le tribunal.


Il est question d’expliquer pourquoi le tiret 1 de l’article 36 ne garantit pas le mariage aux personnes de même sexe. Dans un premier temps, l’auteur revient sur les deux définitions linguistiques possibles du mot « yangsŏng » (des deux sexes), qui est ambigu.


« “yangsŏng” (兩性), dans le dictionnaire, est un terme qui informe en réunissant homme et femme ou encore, il définit un objet qui comporte deux caractéristiques différentes. Si l’on présuppose que les sexes féminin et masculin peuvent se distinguer avec précision, le mot signifie les deux sexes différents ensemble, donc un homme et une femme. » [12]


Le mot insiste sur la dimension du sexe. Afin de pouvoir parler de deux sexes, l’auteur précise que la conception même du sexe doit être dichotomique. Il souligne aussi que le terme réunit l’un et l’autre.

Il propose ensuite une signification juridique, précisant qu’il s’agit de ce qu’en comprennent les législateurs.


« Si l’on retrace l’histoire du tiret 1 de l’article 36 de la constitution, même si l’on entend le terme de “namnyŏ” [homme, femme -terme utilisé avant “yangsŏng« ] par la stipulation de droits égaux dans l’article 20 de la constitution qui définissait le mariage en 1948, surtout durant cette année, si nous prenons en considération qu’il était question de viser à l’égalité des hommes et des femmes dans le mariage et que l’objectif de l’article était d’écarter la discrimination entre les sexes ainsi que le système patriarcal féodal, il est possible de comprendre que les législateurs du tiret 1 de l’article 36 ont utilisé le terme de “yangsŏng” parce qu’il signifiait évidemment homme et femme, ensemble. » [13]


Yi Chaehŭi défend non seulement l’idée que le terme signifie un homme et une femme mais en expliquant l’histoire de l’apparition du terme dans l’article, il argue que le choix du mot a été décidé parce qu’il permettait de lutter juridiquement contre la discrimination au sein des couples mariés. En revendiquant par la même occasion que le mot sort le mariage du patriarcat féodal, alors que l’ouvrage est écrit en réponse aux militants pour le mariage homosexuel, dont le combat s’agence autour de l’égalité. L’auteur sous-entend que le terme ne peut pas être attaqué d’un point de vue du principe d’égalité puisqu’il est déjà égalitaire. De plus, il annonce que le terme a changé en 1948, qu’il était novateur pour son époque grâce à ce souci d’égalité.


Il déclare également que le mariage homosexuel n’était pas pris en considération par les législateurs qui n’y pensaient pas au moment où la constitution a été rédigée. La reconnaissance d’unions entre personnes de même sexe n’était pas discutée parce que l’hétérosexualité était une évidence. Le régime de l’évidence est au cœur de l’argumentaire de Yi Chaehŭi. Il affirme que l’interprétation doit être en accord avec les législateurs qui ont créé la loi, dans une perspective intemporelle.


Lorsque la constitution a été modifiée en 1987, l’article n’a pas changé. Selon l’auteur, puisqu’il n’y a pas eu de demandes particulières, et que l’homosexualité n’était pas aussi visible qu’aujourd’hui, les législateurs n’auraient pas non plus songé à réviser l’article. Dans une perspective semblable à celle de l’anthropologie française, lorsqu’il était question de PACS, il n’est pas possible d’instituer l’homosexualité dans la famille parce que l’hétérosexualité est « un ordre symbolique des sexes, et de la sexualité, qui est aussi un ordre des choses, immémorial et intangible » [14]. Selon Yi Chaehŭi, cet article de la constitution ne situe pas l’égalité dans un point de vue social général, mais qu’il sert à la faire respecter dans le cadre du mariage, au sein du couple, entre un homme et une femme. Il se pose ainsi la question de savoir si un couple de même sexe aurait besoin de protection l’un par rapport à l’autre puisqu’ils sont du même sexe, et que c’est la différence entre les deux qui créerait de la discrimination au sein de la famille [15]. Enfin, il argue qu’il est compliqué de dire que l’article garantit le mariage entre personnes de même sexe, puisque le sexe n’est pas nécessairement celui de naissance. Il rajoute qu’il y a personnes transgenres, du troisième sexe (che 3-ŭi sŏng), non binaires à prendre en compte, alors que yangsŏng conceptualise le sexe sur un mode binaire. Le terme ne parle donc que d’hommes et de femmes. Maintenant que le droit a conscience de l’existence de personnes autres que les hommes et les femmes, la réelle question à se poser selon Yi Chaehŭi, si l’on était discriminant, concernerait leur exclusion du domaine de la famille qui est régit par la loi, puisqu’iels ne sont mentionné·e·s dans aucun texte législatif. C’est précisément le rajout de ces identités sexuelles / de genre qui constituerait une infraction aux droits de l’homme, mais puisque le tiret 1 de l’article 36 a été pensé pour être appliqué entre un homme et une femme, il ne serait pas possible de le prendre en considération comme une exclusion des homosexuel·le·s [16]. Il est question de dire que ce n’est pas parce qu’iels ne sont pas inclus·es, qu’iels sont exclu·e·s, mais iels ne sont pas inclus·es pour autant. Cela revient à dire qu’il n’y a pas de distinction juridique, donc il n’y a pas de discrimination [17]. Il n’y a qu’un flou juridique qui créer un marasme immobiliste. En effet, afin de reconnaître le mariage homosexuel, il faudrait changer une dizaine d’autres lois du droit sud-coréen [18] parce qu’il faudrait y introduire de nouvelles catégories, ce qui semble être la principale difficulté rencontrée par les politiciens favorables à l’ouverture du mariage pour les personnes de même sexe [19]. La reconnaissance du mariage homosexuel en Corée du Sud va au-delà de la volonté des politiques publiques. Elle remet en cause le droit sud-coréen comme outil de légitimation de l’hétérosexualité en tant que régime politique sur lequel il est fondé. Pour pouvoir changer un point, il faudrait changer tout le système.


Le second problème que rencontre la théorie du droit vis-à-vis du mariage entre personnes de même sexe concerne l’objet même de la garantie. S’agit-il du droit de se marier ou de protéger un système de mariage ; le droit est-il déduit du système ou bien d’une liberté civile fondamentale ? Le texte définit comme une liberté fondamentale la possibilité de former une famille mais elle doit être constituée en protégeant le système familial et marital [20]. Yi Chaehŭi conclut que le droit sud-coréen ne reconnaît pas les unions de personnes de même sexe puisque le système prévaut à une liberté qui, dit-il, devrait être élémentaire. Il affirme ainsi que la conception du droit ne peut imaginer l’homosexualité que comme une destruction du système familial hétéronormé puisque, par définition, les homosexuel·le·s ne peuvent pas se marier, ni former de famille. Néanmoins, le législateur rajoute qu’il est un besoin urgent de reconnaître des formations familiales qui existent dans la société et que l’Etat a pour devoir de garantir la liberté de se marier et l’égalité dans le mariage à tou·te·s, d’autant plus que les mœurs sociales changent et que des revendications sont désormais émises [21].


Marion Gilbert


 

1. Il commence sa carrière d’acteur en 1996 dans la sitcom à succès Trois hommes, Trois femmes (Namja set, yǒja set). Il cumule ensuite des rôles marginaux. En 2000, il attire l’attention des médias car il est la première célébrité à faire un coming-out officiel.

2. CHǑNG Chaejin, CHǑN Yǒngbyǒng, « Tongsŏngae sosuja-ŭi ch’abyŏl chohang-gwa chŏngch’aek pyŏndong » (Les résistances face à la discrimination des minorités homosexuelles et les changements politiques), Han’gukhaengjŏngyŏn’gu, vol. 15, hiver 2006 pp. 207-240. « 홍석천 씨의 커밍아웃은 동성애자에 대한 사회적 관심을 증진시키는 역할을 하였다. »

3. CHO Insuk, YU Chǒngch’il, « Tongsŏngae podo-e taehan p’ŭreiming punsŏk » (Analyse du framing à propos des informations sur l’homosexualité), sinang-gwa hagmun, vol. 19, printemps 2014, p. 135.

4. Ibid., p.135. « 기독교계를 중심으로 시청거부 운동이 일어나기도 했다. »

5. Ibid., p 135.

6. CHǑNG Chaejin, CHǑN Yǒngbyǒng, op. cit., pp. 207-240.

7. Ibid., p. 209. « 법원에서는 동성간의 동거를 사실혼관계로 볼 수 없다. 우리 사회에서의 혼인은 남성과 여성의 정신적, 육체적 결합을 의미하며 동성간의 동거관계는 현행법으로 보호할 수 없다. »

8. HENRY Todd, Queer Korea, Duke University Press, 2020, p. 301, (format Kindle).

9. YI Sangjun, « Tongsŏng kyŏlhap happŏphwa-e taehan k’at’ollik-ŭi ipchang-gwa t’aedo», (Le comportement et le point de vue des catholiques à propos de la légalisation du mariage homosexuel), Sciences humaines et sociales, Université Catholique de Taejǒn, 2009, p. 38. « 혼인과 가족생활은 개인의 존엄과 양성의 평등을 기초로 성립되고 유지되어야 하며, 국가는 이를 보장한다. »

10. BECKER Howard Saul, Outsiders, Etudes de sociologie de la déviance, Broché, 2013, 256 p.

11. YI Chaehŭi, Honin-ŭi hŏnbŏpjŏk pojang : hŏnbŏp che 36 cho che 1 hang chungsim-ŭro (La garantie constitutionnelle du mariage expliquée à travers le tiret 1 de l’article 36 de la constitution), Constitutionnal Research Institutre, 2017, 126 p.

12. « 양성 (兩性)은 사전적으로 남성과 여성을 아울러 이르는 말 또는 사물의 서로 다른 두 가지 성질 등으로 정의된다. 남성과 여성으로 성별이 정확하게 구분됨을 전제로 한다면, 양성은 서로 다른 두 성 즉, 남성과 여성을 의미한다. » Ibid., p. 91.

13. « 헌법 제36조 제1항의 역사를 거슬러 올라가 1948년 헌법 제20조에 혼인은 “남녀” 동권으로 한다고 규정한 것에 비추어 보아도 그렇고, 특히 1948년 헌법 당시 혼인에서의 남녀차별, 봉건적 가부장제를 거부하고 혼인에서의 남녀평등을 지향하였던 취지를 고려하였을 때, 헌법입법자는 헌법 제 36조 제 1항에 규정된 “양성”이라는 문구 자체를 서로 다른 두 성을 의미하는 것으로 사용하고 있다고 할 수 있다. » Ibid., p. 91.

14. FASSIN Eric, L’inversion de la question homosexuelle, Editions Amsterdam, 2008, p. 41.

15. YI Chaehŭi, Op. cit., p. 92.

16. Ibid., p. 94.

17. FASSIN Eric, op. cit., p. 46.

18. De même, la création d’un partenariat pour les personnes de même sexe demanderait à apporter des modifications de la loi de protection sanitaire des citoyens (kungmingŏngangbohobŏp), de la loi sur la taxation des revenus (sodŭksebŏp), de la loi sur le logement locatif (imdaejut’aekpŏp), de la loi sur l’égalité de l’emploi des hommes et des femmes (namnyŏgoyongp’yŏngdŭngbŏp), de la loi sur la médecine (ŭiryobŏp), de la loi sur la protection des enfants (adongbokchibŏp)… Nayŏng, Pihon’gwa pich’ulsan, chŏngsang kajok aniŏdo chal sarabogi, (Sans mariage ni procréation : Vivre bien sans être une famille normale), Sŏul chungbu yŏsŏng paljŏn sent’ŏ, Séoul, le 5 octobre 2019.

19. Ibid.

20. YI Chaehŭi, op. cit., p. 110.

21. Ibid., p. 118.

bottom of page